OUVRIER-PAYSAN

OUVRIER-PAYSAN
OUVRIER-PAYSAN

OUVRIER-PAYSA

L’irruption des manufactures, puis des usines, à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, mais surtout au XIXe siècle, rompit fondamentalement la symbiose millénaire entre la ville et la campagne. L’industrie tentaculaire, dévoreuse de main-d’œuvre, suscita de grosses concentrations ouvrières, captant un sous-prolétariat rural abondant et bon marché. Elle imposa de lourds horaires de travail, exigea une présence régulière et, par là même, accéléra l’exode rural en façonnant de plus en plus une classe ouvrière déracinée à genre de vie uniquement industriel.

Dans les campagnes européennes toutefois, les petites villes et les centres urbains moyens, l’essentiel des effectifs employés par l’industrie demeura au moins partiellement paysan jusque parfois longtemps après la Seconde Guerre mondiale. Progressivement, soit d’une génération à l’autre, soit le temps d’une même génération, l’effritement de l’exploitation agricole conduisit de la condition ouvrière momentanée ou partielle au salariat complet: dans le cadre d’un cycle complet, le paysan devint d’abord paysan-ouvrier, puis passa par toutes sortes de stades intermédiaires avant d’être réduit à l’état d’ouvrier-paysan pratiquant un genre de vie mixte, mi-agricole mi-industriel.

Celui-ci incarna ainsi l’aboutissement de la dégradation agricole. Un nombre de plus en plus grand d’exploitations, devenues marginales, était condamné à disparaître: le morcellement parcellaire, l’exiguïté des surfaces disponibles par suite du partage égalitaire des héritages ont réduit considérablement, voire supprimé la commercialisation d’une partie des produits de la ferme. Dans une population prolifique, ce malaise fut renforcé par la pression démographique exercée sur l’économie, chaque ménage ayant de nombreuses bouches à nourrir, depuis les aïeux et collatéraux jusqu’aux enfants. Très vite l’unité d’exploitation se tourna essentiellement vers l’autosubsistance familiale. On vivait chichement, mais socialement on était mieux considéré que l’ouvrier à genre de vie uniquement industriel, perçu en milieu rural comme un déclassé qui, de surcroît, finissait par devenir sensible au chant des sirènes socialistes, socialisantes ou syndicales. Face au «rouge», l’ouvrier-paysan demeurait un «noir».

Celui-ci associait en apparence un double avantage: d’une part la propriété foncière et immobilière, aussi réduite fût-elle, ainsi que la production vivrière; d’autre part le salaire fixe que lui procurait l’usine. En fait, il travaillait deux fois pour vivre une seule vie. Bœuf de labour, l’ouvrier-paysan et sa famille ne rechignaient pas à l’effort et ne connaissaient guère de loisir autre que dominical: celui du culte religieux, des fêtes de famille ou du village. Même le dimanche fut partiellement consacré à soigner le faible nombre de bêtes élevées. Lorsque, à la fin des années 1930 et surtout après 1945, l’ouvrier-paysan fut sollicité par le syndicalisme ouvrier, il se distingua de son collègue uniquement salarié par une réticence certaine à s’engager. Si, dans les grandes entreprises, il finissait parfois par signer le bulletin d’adhésion et par payer sa cotisation, c’est qu’il avait compris qu’il pouvait rentabiliser au maximum cet investissement social: les journées de grève — initialement rémunérées — lui permettaient, sous protection syndicale, de vaquer tranquillement à ses occupations agricoles. Avant tout désireux de réaliser des performances de travail dans sa ferme, il considérait l’exercice de la profession industrielle comme secondaire: fatigué du labeur des champs, parfois de bon matin, il arrivait fréquemment à l’usine pour se reposer quelque peu. Le syndicat lui offrait parfois l’occasion d’être soutenu par le nombre dès lors qu’il s’agissait d’opposer une résistance passive au relèvement des exigences de cadence en matière de travail.

Le salaire lui servit d’appoint à plus d’un titre: l’ouvrier-paysan put faire face aux dépenses de civilisation extérieures à l’autoconsommation, telles celles qui concernaient l’électricité, les fournitures scolaires, l’habillement, une certaine mécanisation de l’exploitation, l’acquisition d’engrais, de produits de traitement des plantes, de semences plus productives ou plus résistantes. Il visait constamment à augmenter la superficie de son exploitation, signe extérieur de richesse et source de considération sociale; la ferme même pouvait être entretenue plus facilement, réaménagée, modernisée, crépie le cas échéant. Ses filles se mariaient «mieux» que celles de l’ouvrier.

L’ambiguïté de la fonction d’ouvrier-paysan apparut cependant toujours davantage au fur et à mesure de la diversification de la société industrielle et de l’apparition des signes avant-coureurs de l’ère postindustrielle. Force fut de constater que l’ouvrier-paysan n’était ni un véritable paysan ni un authentique ouvrier. Vivant en somme d’expédients, négligeant le travail à l’usine, n’ayant pas la dextérité des gestes d’un ouvrier arraché au rythme des travaux des champs, il ne fit aucun effort déterminant pour se consacrer à une formation professionnelle approfondie. Aussi les conditions inexorables de sélection de l’après-guerre finirent-elles par mettre un terme à ce genre de vie. Les pays en développement, en revanche, ont parfois recours au même cheminement initial que les États industrialisés. L’ouvrier-paysan y sert alors de charnière entre l’ère préindustrielle et la période actuelle.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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